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Rêveuse par nature... Le blog d'une flâneuse du quotidien en quête d'insolite et de poésie.

La Voyageuse sans Ticket

Le roman du clash

©Jane

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"North and South", roman d'Elizabeth Gaskell, est non seulement une peinture sans concession de l'ère industrielle en Angleterre au 19ième siècle,  mais aussi l'histoire de deux univers qu'au prime abord rien ne semble pouvoir (ré)concilier. Je l'ai surnommé d'emblée le livre du clash. Clash entre le Nord et le Sud, antagonisme premier qui donne son nom au roman et dont découlent de nombreux antagonismes secondaires : le clash entre le monde industriel et le monde campagnard, entre la classe ouvrière et la classe montante de la bourgeoisie, entre ceux qui possèdent l'argent et ceux qui péniblement le gagnent, entre le conservatisme et le progressisme, entre l'apparence et la réalité, entre la laideur et la beauté, et finalement le clash qui va porter tous les autres et les incarner : celui entre Margaret et John qui dès le début personnifient tous ces antagonismes. Elle est une femme, née dans une certaine aisance dans le sud rural de l'Angleterre où les mœurs sont policées et fortement codifiées, où l'on ne dit pas tout ce que l'on pense et où un homme ne salue jamais une dame en lui serrant la main. Lui est un homme qui s'est construit à la force du poignet (et aussi grâce aux sacrifices de sa mère), a connu l'humiliation et la pauvreté et qui évolue dans un monde où l'on appelle un chat un chat et où pour survivre il faut être dur avec soi-même ainsi qu'avec les autres.

©Myriams Fotos sur pixabay

©Myriams Fotos sur pixabay

La rencontre de la glace et du feu donc... On aurait pu en rester là mais c'eût été dommage car nous aurions raté une des plus belles histoires d'amour de la littérature anglaise. Selon le principe bien connu des contraires qui s'attirent, Margaret Hale et John Thornton vont se détester et se fasciner mutuellement. Le chemin sera long et semé d'embûches.

Propulsée de sa douce campagne du Sud dans ce microcosme âpre et industrialisé du Nord, Margaret va devoir apprendre rien moins qu'une nouvelle façon d'être au monde et dans le monde. Et habilement l'auteure nous donne dès le départ un indice montrant que son héroïne est malgré tout équipée pour accomplir cette évolution : c'est elle qui dès ses premiers pas dans la cité industrielle de Milton prend en main la recherche d'un nouveau logement pour sa famille et se place d'emblée sur un pied d'égalité avec des hommes qui tenteront en vain de la renvoyer à ses napperons et sa dentelle.

Margaret se sent étrangère mais n'a pas l'intention de le rester. Elle va donc très vite mettre de côté ses états d'âmes et aller à la rencontre de cet univers étranger qu'au premier abord elle trouve grossier. Bien lui en prend car sous la carapace hérissée de piquants de ces bêtes de labeur que sont ces ouvriers et ouvrières du textile (eh oui, encore un antagonisme : dans le Nord les femmes travaillent et ont les mains caleuses et les poumons détériorés par la byssinose) se cache une vraie délicatesse de cœur. Ici on n'accepte pas la charité de dames patronnesses. La pauvreté ouvrière a sa propre noblesse dont les piliers sont sa pudeur et sa dignité. Sublimes portraits humains que ceux de l'ouvrier syndicaliste Nicholas Higgins et de sa fille Bessy qui a le même âge que Margaret et deviendra son amie avant que la byssinose ne l'emporte à dix neuf ans à peine. C'est Bessy qui avec un humour perspicace initiera Margaret aux codes de ce nouvel univers. Sa fin est poignante. Y-a-t-il rien de plus triste que d'entendre une si jeune femme confesser que pour les bêtes de labeur comme elle il n'y a pas d'avenir personnel et que donc mourir jeune est une bénédiction ?

Le roman du clash

Les deux personnages principaux sont bien nommés et portent leur "programme" sur leur carte de visite : Margaret Hale est une femme forte (hale veut dire vigoureux) et John Thornton est l'aiguillon (thorn signifie épine ou aiguillon justement), celui qui va titiller ses préjugés et piquer au vif son amour propre, un peu comme on pique un cheval pour qu'il parte au galop. Son galop personnel va amener Magaret à sauter pas mal d'obstacles et à prendre, après la mort de ses parents, complètement son destin en main. John, lui, si fier et inflexible, va découvrir que l'amour change toujours la donne. Il survit à tous les malentendus, toutes les incompréhensions et est finalement la seule force capable de bâtir des ponts entre les antagonismes. C'est grâce à cet amour et au désir secret de plaire à Margaret qu'il va s'ouvrir aux idées de ses ouvriers, cesser de les voir comme une simple main d'œuvre et découvrir leur humanité finalement si semblable à la sienne.

D'une manière plus large ce roman met aussi en scène de manière symbolique l'opposition entre le ciel, représenté par Helston, la patrie de Margaret aux cieux exempts de toute pollution, aux roses abondantes, et l'enfer, représenté par le Milton de John  avec ses fumées noires, ses cheminées d'usine et où l'on doit beaucoup chercher pour trouver un peu de verdure. Au fil de l'histoire on va découvrir cependant que les roses ont des épines, et Helston va peu à peu perdre son charme pour n'être plus qu'un décor aux couleurs fanées. Margaret s'est transformée et son regard lui aussi a changé. Et dans l'enfer de Milton la beauté va surgir des âmes, illuminer la grisaille des pierres et là aussi transformer le décor. Le Petit Prince de Saint-Exupéry serait satisfait car ce roman est une illustration parfaite de sa maxime préférée : on ne voit bien qu'avec le cœur. Et ce que l'on aime acquiert toujours la grâce et l'aura de la beauté.

Margaret, devenue une riche héritière et par cet héritage propriétaire de l'usine de John, sauvera l'œuvre de celui-ci de la faillite. Quelle belle manière de dire "je crois en toi", phrase que John, rendu perspicace par l'amour, traduira en "je crois en nous". Il y a pour moi comme un écho de Pride & Prejudice dans cette histoire. Une fois de plus une auteure m'a prouvé que ce que l'on rejette spontanément est souvent le plus apte à nous révéler à nous mêmes. Pour notre plus grand bien. Pour notre plus grand bonheur.

Longue et heureuse vie à John et Margaret. Un amour qui se gagne au prix d'une telle évolution personnelle est un amour promis à une belle longévité. N'en doutons pas !

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